Rokkasen, à l’instar des « Six génies de la poésie » (également appelés Rokkasen en japonais) de l’époque Heian, qui déclamaient leurs poèmes « waka », les faisant résonner gracieusement dans le cœur des gens, crée des sakés avec le souhait intime d’offrir aux gens des saveurs délicates qui leur réchauffent le cœur. Notre brasserie a été fondée en 1972 par regroupement de cinq brasseries de la région de Kitamurayama (Higashine, Murayama, Obanazawa et Oishida).
Rokkasen, dont la réputation en tant que grande enseigne du saké n’est plus à faire, continuera à explorer les possibilités autour de l’élaboration de sakés, en conjuguant les bienfaits de la nature avec la sagesse et le savoir-faire de ses brasseurs, et en s’y consacrant corps et âme jour après jour.
Le processus de brassage du saké commence par une sélection méticuleuse du riz, qui est la principale matière première. Près de 98 % du riz que nous utilisons provient de la préfecture de Yamagata. Les variétés de riz à saké de Yamagata que nous choisissons sont, pour l’essentiel, le « Dewa Sansan », le « Miyama Nishiki », le « Dewa no Sato », et le « Yuki Megami ». Il nous arrive également d’utiliser des riz de consommation de la variété « Haenuki » et « Tsuya Hime ». Ainsi, nous parvenons à brasser des sakés emblématiques du terroir de Yamagata.
Enfin, nous sommes amenés à travailler avec du riz « Yamada Nishiki » provenant d’autres préfectures.
Le riz est d’abord soigneusement trié, et débarrassé de toute matière étrangère, avant d’être placé dans des cuves à riz complet (ou riz brun) – une partie pouvant être conservée dans des sacs. Après une période de séchage, le riz est poli suivant les usages auxquels on le destine.
Nous faisons tourner deux polisseuses à riz : la première d’une capacité de 1 800 kg (soit 30 sacs de 60 kg), et l’autre de 900 kg (soit 15 sacs de 60 kg), pour obtenir le riz poli. Le riz blanc destiné au brassage de saké ordinaire nécessite moins de 20 heures pour être poli. En revanche, il faut compter 30 à 45 heures pour obtenir un taux de polissage de 60%, et 72 à 90 heures pour un taux de polissage à 40 %. Les machines ne sont pas arrêtées une seule fois pendant toute la durée de l’opération. Le riz est alors poli dans notre brasserie selon un procédé appelé « polissage du riz plat ». Cette méthode permet de produire un polissage uniforme de la surface des grains de riz complet, tout en évitant que ceux-ci ne deviennent sphériques avec une forme de perle. Grâce à cette technique, il est possible d’éliminer au maximum les composants indésirables qui, autrement, perturberaient le brassage du saké.
Une fois poli, le riz est nettoyé et trempé dans de l’eau de source avant d’être étuvé.
Nous utilisons dans notre brasserie un procédé de trempage visant à limiter la quantité d’eau absorbée par les grains : le riz est acheminé depuis la salle de polissage jusqu’à l’entrepôt principal avec l’eau de brassage, en même temps qu’il est lavé. Une fois transféré vers l’entrepôt principal, il est placé dans une cuve où on le fait tremper.
La durée du trempage varie en fonction du taux de polissage du riz et de l’année de la récolte, et les brasseurs chronomètrent à la minute près ce processus avant de vider l’eau. On laisse ensuite reposer le riz humidifié jusqu’au lendemain matin avant de l’étuver.
Il convient de faire très attention à ce que les grains n’absorbent pas trop d’eau, suivant la variété de riz utilisé, en particulier avec les riz plus tendres, par exemple.
En effet, cette étape est déterminante, et aura une incidence directe sur le résultat final et la qualité du saké obtenu.
Dans notre brasserie, le riz est étuvé dans des cuiseurs verticaux de façon continue. Le riz humidifié issu du trempage est acheminé dans les étuveurs à l’aide de tapis roulants. À ce stade, on effectue l’opération appelée « nuke-gake », c’est-à-dire que l’on ajoute progressivement et en continu des quantités modérées de riz humidifié à mesure que la vapeur est libérée dans la chambre de cuisson. On répète cette opération jusqu’à ce que la cuisson à la vapeur du riz soit achevée.
L’étuvage dure environ 50 minutes. Les avantages de ces étuveurs sont les suivants : on n’observe pas d’irrégularité ou variation indésirables, la pression et la température de cuisson sont plus élevées que dans un chaudron japonais ordinaire (environ 105 °C, soit 2 °C de plus que la normale), ce qui permet d’obtenir un riz « dur à l’extérieur et tendre à l’intérieur », soit une consistance idéale pour le brassage du saké. Enfin, on prélève une petite quantité de riz que l’on malaxe (on parle de « hineri-mochi ») pour vérifier l’élasticité immédiatement après la cuisson. Cette opération est effectuée à mains nues. Ensuite, le riz est mis à refroidir, puis il envoyé dans différentes salles selon ses utilisations : une partie va servir à préparer le moût d’amorçage « shubo » (littéralement : « mère du saké »), une autre sera utilisée pour le riz de koji, et une enfin pour la préparation du « moromi » (ou « moût principal »).
Il arrive que l’on utilise la fraîcheur du matin pour laisser le riz refroidir jusqu’à un maximum de 5 °C, ce qui permet de prévoir avec certitude la température pour la préparation du moût principal, etc., et pour le brassage. Le riz de koji est transféré dans la chambre du koji, ou « koji-muro », dont la température et l’humidité sont contrôlées en permanence et maintenues à un niveau optimal, grâce à l’envoi de données via un émetteur-récepteur.
La préparation du moût d’amorçage, ou « shubo », est l’opération la plus importante du processus de brassage. Nous cultivons d’excellentes levures indispensables à la fermentation.
Les moûts d’amorçage que nous préparons sont des « shubo » à fermentation rapide. Chez Rokkasen, nous utilisons, pour l’essentiel, les levures n° 7 et n° 9, et la levure Yamagata.
Nous travaillons toujours à partir de levures moussantes : en effet, la couche de mousse, ou les bulles, qui se forment à la surface du riz, par leur aspect visuel et les effluves qu’elles produisent, renseignent le brasseur sur l’état d’avancement de la fermentation. Le moût d’amorce se prépare dans un environnement complexe ; il convient de contrôler rigoureusement le taux d’humidité et la température qui est abaissée ou augmentée au besoin, tout au long de la journée, pour que puisse se développer un moût hyper concentré en levures. Cette opération requiert une attention constante : en effet, des bulles peuvent se former et déborder de la cuve au cours du processus sil’on ne prend pas garde. Au quinzième jour de ce processus de culture pure de levure, le moût d’amorçage arrive à maturité ; il est alors transféré dans le moût principal, ou « moromi ».
Il n’est pas exagéré de dire que 80% du brassage du saké est déterminé par le koji. Ce ferment a une incidence sur la plupart des arômes, sur le niveau de douceur, d’acidité, d’astringence, sur le caractère du saké, son côté corsé, sa rondeur et la netteté de sa saveur. Le koji agit comme un renfort sur le moût d’amorçage, puisqu’il provoque la transformation de l’amidon en glucose et permet la saccharification. La pièce dans notre brasserie destinée à l’élaboration du koji est appelée « KOS ».
Il s’agit d’un espace fermé hermétiquement, où la température est maintenue en permanence à 30 °C, et où l’on prépare le koji. Cette chambre reproduit les conditions d’un « futa-koji » (une sorte de boîte utilisée pour la production du koji) ; elle est parfaitement adaptée pour la production du koji de ginjo. Sa structure se divise en deux parties : une section supérieure avec des claies pour accueillir le koji, et une inférieure utilisée comme étagère avec des plateaux peu profonds où est transféré le koji dans un second temps). La partie étagère peut recevoir quatre grand plateaux sur lesquels est disposé le koji.
Le riz cuit à la vapeur est saupoudré des spores du champignon « Aspergillus Oryzae » (koji-kin) et il est maintenu à une température de 30 °C. Le riz est étalé en couches uniformes d’une épaisseur de 25 cm environ, et on laisse le champignon agir et se développer pendant 24 heures. Le jour suivant, on estime s’il faut corriger l’épaisseur de la couche de riz en fonction de ses arômes et de sa texture, puis on le transfère sur les plateaux de l’étagère. Après environ sept heures, le riz est malaxé, et les plateaux sont rempilés un à un, afin d’homogénéiser davantage l’inoculation des spores de koji.
Cette opération est appelée « naka-shigoto » (première phase de malaxage) dans notre brasserie.
Après quelques heures, le koji atteint sa température maximale et on le laisse se développer à 42 °C jusqu’au lendemain matin. On procède alors à un refroidissement rapide, et on se prépare à sortir le koji fini, c’est le « dekoji ». Il faut compter environ 45 heures pour produire le koji. On assiste alors à la naissance d’un koji duveteux, avec un développement de la moisissure vers l’intérieur du grain de riz appelé « tsuki-haze ». Une odeur de châtaignes se répand dans la pièce, et le koji de riz libère une saveur légèrement sucrée quand on le mâche.
L’expression japonaise « wajo ryoshu » (littéralement : un brassage harmonieux pour un saké d’excellence), exprime l’idée selon laquelle « le brasseur doit chercher à préserver des équilibres harmonieux durant tout le processus de brassage du saké ». Chez Rokkasen, nous brassons nos sakés en respectant l’harmonie qui existe entre les différents micro-organismes. En effet, ce sont les micro-organismes qui rendent possible le brassage du saké. Nous avons pour principe de créer un environnement propice au développement de ceux-ci, et de chercher comprendre leur fonctionnement et leurs interrelations. Nous les encadrons et agissons à leur égard comme un père, ou une mère, parfois comme un médecin, toujours à leur écoute, et en dialogue avec eux. Chez Rokkasen, nous estimons que c’est la base de l’art du brassage.
À chaque étape du processus, nous ne nous basons pas seulement sur des données chiffrées, telles que le calcul des durées ou les températures, mais nous mobilisons aussi, et surtout, nos cinq sens. Les équipements modernes ne sont qu’une partie des outils à notre disposition, et nous gardons toujours à l’esprit que l’on ne peut pas brasser un saké de grande qualité sans recourir à notre sensibilité. Les sakés Rokkasen sont le fruit d’une fusion entre savoir-faire et intelligence humaine, équipements modernes, et éléments naturels tels que les micro-organismes.
La méthode traditionnelle de fermentation que nous utilisons pour brasser nos sakés est appelée « sandan-shikomi » (littéralement : trois étapes de la progression du moût). Les cuves de fermentation sont toutes hermétiquement fermées, et comportent une double enveloppe.
La capacité des cuves varie de 6 tonnes, à 2 tonnes ou 1 tonne, selon la marque ou la qualité du saké. Ces cuves permettent également de bien maîtriser la température, et donc de procéder au brassage de riz au taux de polissage élevé, ce qui était réputé difficile autrefois.
Du fait de l’importance des volumes, la moindre variation de température peut rapidement devenir incontrôlable ; c’est pourquoi le moût et l’eau de fermentation sont soumis à un contrôle strict de température. Lorsque le processus de fermentation démarre, les douces effluves du saké sont déjà perceptibles autour des cuves. Une variété d’arômes évoquant des fruits tels que les pêches, les raisins, les pommes, ou encore les bananes, se font sentir et changent jour après jour, à mesure que la fermentation principale du saké se poursuit. La durée standard de fermentation du moût, « moromi », est de 23 jours pour un saké ordinaire, 28 jours pour le ginjo-shu, et 30 jours pour le daiginjo. Cependant, cette durée peut varier d’une année sur l’autre, en fonction du riz utilisé, ou autres facteurs, et la fermentation peut être retardée de quelques jours.
Il convient donc d’observer l’évolution du « moromi » (fermentation du moût) et d’ajuster l’environnement suivant la situation. Le « moromi » chez Rokkasen se caractérise par sa couleur extrêmement blanche et sa grande finesse. C’est le résultat du lavage constant des cuves à la main qui est effectué afin de créer le meilleur environnement possible.
Chez Rokkasen, nous utilisons deux méthodes de pressurage du moût à l’issue de la fermentation : la méthode dite « yabuta » (avec un filtre-presse mécanique), et le pressurage dans des sacs en toile. Le pressurage permet d’obtenir le premier saké, ou « seishu ». Le saké est donc séparé des résidus solides, aussi appelés « kasu » (lie de saké). La lie de saké est divisée sous la forme de blocs (ita-kasu) et de pâte (neri-kasu), puis expédiée pour maturation.
Les sakés que nous élaborons dans notre brasserie produisent de grandes quantités de lie. C’est ce qui leur donne cette saveur franche si caractéristique. Puisque nous procédons à un nettoyage continu et méticuleux de nos cuves et compresseurs, le saké que nous brassons peut être dégusté tel quel, sans filtration, immédiatement après le pressurage. Les compresseurs sont suffisamment haut pour qu’une personne puisse se tenir debout en-dessous. C’est notre rigueur, et le soin que nous apportons dans le nettoyage de nos équipements, qui nous permettent d’expédier aussitôt le saké fraîchement pressuré.